Pennsylvanie : entre communauté Amish et Philadelphie
A quelques jours du départ des USA pour notre retour en France, nous avons eu la mauvaise surprise d’arriver au bout de nos forfaits internet ! Pas franchement pratique quand on voyage…et rien de payable facilement sur place pour compenser. Ceci au moment où Nicolas devait signer quelques contrats de remplacements autour de Bordeaux pour le mois à venir. Nous avons donc dû commencer par squatter wifi et imprimantes publiques pour résoudre ces problèmes.
Ceci nous a mis dans l’ambiance de la communauté un peu particulière à qui nous sommes ensuite allés rendre visite : les Amish dans le comté de Lancaster. Initialement établis en Suisse, puis en France où ils se faisaient persécuter et ne pouvaient vivre leur religion librement, ils ont reçu un appel du pied de William Penn à l’époque où il cherchait à peupler son nouvel Etat. Il s’agit de chrétiens qui suivent une Bible un peu différente, refusant globalement l’idée du progrès et prônant la non-consommation et une vie simple. Ainsi, ils vivent avec un habillement qui ne permet que les tissus unis, aucune fioriture, pas même de boutons (sauf pour les chemises d’hommes), les femmes utilisent donc des épingles tous les jours pour assembler haut et bas de robes. Chaussures unies noires. Bonnet pour les femmes qui n’ont pas le droit de se couper les cheveux. Barbe pour les hommes à partir du moment où ils sont mariés. Pas de décorations dans les maisons. Pas de photos, car ils tiennent à une posture modeste qui ne permette à personne de se mettre en avant. Ainsi, ils n’ont pas le droit d’acquérir une compétence qui serait meilleure que celles de quelqu’un d’autre. Ils ne vont donc à l’école privée de leur communauté que jusque l’âge de 13 ans et n’ont pas le droit d’apprendre un métier. L’institutrice est généralement une femme de 24 ans qui prend toutes les classes en même temps et qui, elle-même, n’a été que jusque la classe de 4ème. Ils n’apprennent donc pas non plus à jouer d’instrument de musique, car cela risquerait de faire des différences entre les individus. Aucun jeu qui permettrait d’avoir un gagnant ou un perdant n’est permis non plus. La règle la plus connue de cette communauté est qu’ils refusent l’utilisation de l’éléctricité. Pas non plus le droit de conduire ou de posséder une voiture. En revanche, il n’y a aucune règle concernant l’alimentation, les Amish font donc leurs courses au Target du coin comme tout le monde.
Nous avons visité une ferme Amish typique qui est toujours maintenue en activité, mais qui n’est plus habitée par la famille d’origine aujourd’hui. Lors de la visite guidée nous avons pu poser toutes nos questions sur le fonctionnement actuel. Nous avons donc vu que des batteries ou un système d’alimentation au gaz ont été ajoutés sur la plupart des appareils électriques, y compris sur les frigidaires et machines à laver le linge. Les maisons Amish se repèrent donc très facilement, elles ne sont pas raccordées au réseau électrique et n’ont pas de fils électriques, mais elles ont devant chez elles une grande réserve de Propane. Le linge uni sèche au vent car ils n’ont pas droit au sèche-linge. Il y a des carioles tirées par des chevaux sur les routes partout dans la ville, et donc de petits garages à carioles et des mangeoires à chevaux devant les habitations, et les institutions du coin!
La visite s’est avérée fascinante et très nuancée dans les explications, sans langue de bois les enjeux les plus actuels ont pu être abordés également : contraception, rapport aux soins, conflits conjugaux, santé mentale, etc. Compte tenu du nombre d’enfants par foyer, la population de cette communauté est loin de s’éteindre, bien au contraire, elle double tous les 20 ans ! Et ce alors que les jeunes passent par une période où ils ont le droit de vivre « comme tout le monde » avant de choisir s’ils veulent continuer à vivre avec les Amish, et ne se font donc baptiser qu’à l’âge adulte, lorsqu’ils ont fait ce choix, et qu’ils décident de se marier dans la communauté. Voilà de quoi se poser beaucoup de questions !
Après cette étape dépaysante nous avons atteint Philadelphie et nous sommes jetés dans le musée d’art, pour ne pas changer. Il faut avouer que les Américains ont l’art de la mise en scène et le sens du spectacle. Dans les parties Antiquité, Moyen-âge et Renaissance, ils ont carrément été chercher des ensembles entiers de temples, maisons, cloitres, etc. pour les reconstituer au sein du musée et ainsi offrir un véritable écrin aux œuvres d’art tout en présentant un musée des arts décoratifs par la même occasion. On passe donc en quelques minutes d’une église gothique, à un temple japonais, à un temple indien, à un intérieur typiquement anglais du 19ème siècle, à celui de l’époque classique en France, etc.
La section concernant l’art Américain était également particulièrement remarquable.
Et les parties art européen, moderne et contemporain avec ses séries de toiles et peintres très connus, comme partout ailleurs, très bien achalandées également.
Et ce n’est pas fini, un investisseur privé qui est tombé en émoi devant les œuvres de Rodin lui a proposé de faire couler ses sculptures dans du bronze à ses frais pour pouvoir les présenter dans un musée à Philadelphie. Rodin a accepté négociant que d’autres soient alors également coulées pour les Français. 7 bronzes de chacune de ses sculptures ont donc été coulés au frais de cet investisseur, excepté pour « Les Portes de l’Enfer » - son travail le plus abouti, et dont le Penseur fait partie initialement - qui n’ont été coulées que deux fois, une pour ce musée, et l’autre pour le Musée Rodin en France.
Nous avons ensuite fait une véritable découverte en allant visiter l’ancienne prison de Philadelphie. Autrefois les prisonniers étaient tous enfermés dans une même pièce comme nous l’avions vu à Charleston, en attendant un jugement. Mais la prison n’était pas la sentence en tant que telle. Ils étaient alors condamnés à des humiliations publiques ou à des châtiments corporels entre autres. Or en 1829, une société philanthropique de Philadelphie a œuvré, avec l’idée que l’homme était naturellement bon, pour que les prisonniers puissent passer un certain temps à méditer seuls et en silence pour qu’ils puissent réfléchir à leurs méfaits, à leur condition d’Homme et à ce qu’ils retrouvent leur nature profonde… et le droit chemin. La prison n’était donc pas vue au départ comme une punition, mais comme un accompagnement vers le mieux.
Le défi a été pour l’architecte, de construire un bâtiment permettant à une centaine de personnes de respecter un isolement strict, sans eau courante, sans que tous ne se passent des maladies, à une époque où le Président utilisait encore un pot de chambre à la Maison Blanche. Et le lieu était chauffé ! Il a imaginé des cellules avec un puit de lumière et lavées à l’eau tous les jours.
L’isolement, y compris sonore était respecté très strictement, à tel point que les gardiens devaient mettre des chaussons sous leurs chaussures pour qu’on n’entende pas leurs bruits de pas. Les prisonniers pouvaient sortir deux fois 30 minutes par jour, chacun à leur tour. Les repas étaient pris seuls. Ils avaient le droit de travailler (fabriquer des chaussures, mobilier en bois, teindre des tissus) et pouvaient avoir un livre.
Comme il s’agissait d’un tout nouveau concept, des observateurs du monde entier sont venus visiter cet établissement connu comme étant le premier modèle carcéral, soit le « Modèle Philadelphien », qui a été largement copié partout y compris en Europe. A ce moment il s’agissait d’une des plus grandes prisons au monde et tous les yeux étaient tournés vers ce nouveau dispositif pour voir s’il allait fonctionner ou non, et cela faisait débat. Certains pensaient qu’il était inhumain d’enfermer des gens dans le silence et qu’ils allaient devenir fous. Toujours est-il qu’elle n’a cessé de croitre, comptant 250 prisonniers dans les années 1920. Même Al Capone y a été emprisonné un an – dans une cellule de VIP très chic - car il n’avait pas de permis de port d’arme et il y a été opéré des amygdales !
A ce moment de nouvelles idées sur l’incarcération sont apparues et il a été question de faire travailler les prisonniers pour les occuper, les promenades et repas sont devenus communs, les prisonniers étaient alors enfermés par deux, et la règle du silence a été abandonnée, suivant un nouveau « Modèle New Yorkais ».
En 1971 le lieu était devenu vraiment trop vieux et surpeuplé, la prison a fermé définitivement. Plusieurs idées sont apparues pour transformer le lieu, mais ce sont les historiens qui ont eu gain de cause en y créant un musée de l’histoire carcérale.
Ainsi, on y apprend que depuis la fermeture en 71, le nombre de prisonniers a augmenté de 80% aux USA. Les lois concernant la drogue se sont renforcées, il y a de plus en plus d’emprisonnement pour l’ensemble des crimes et plus uniquement pour les crimes violents, et les durées d’emprisonnement sont plus longues. En 2011, le nombre d’incarcérations augmentait tellement que le gouvernement a dû envisager la construction d’une nouvelle prison tous les 18 mois !
Aux USA, 7% des enfants ont un parent en prison. 45% des personnes qui sortent de prison y retournent dans les 3 ans. D’autres chiffres sont présentés concernant la répartition ethnique dans les prisons, les différences entre pays qui appliquent la peine de mort et les autres, etc.
Le musée invite au questionnement dans sa dernière partie en nous faisant choisir parmi deux couloirs : Ai-je déjà enfreint la loi oui ou non ? Il y a des papiers vierges qui permettent à tous les visiteurs de coucher anonymement en quelques lignes les histoires personnelles lors desquelles ils ont enfreint la loi. Un artiste a décidé de collecter ses écrits et de faire la même chose auprès de prisonniers et il a fait une petite sélection « d’aveux » qui sont accrochés au mur. On doit alors deviner si le méfait émane d’un visiteur ou d’un prisonnier et honnêtement… nous nous sommes fait largement avoir ! Quand on lit les aveux de visiteurs qui cambriolent des personnes âgées ou d’une soignante qui surdose ses patients et qui se promènent en rue cela fait froid dans le dos !
Plusieurs autres sections sont toutes aussi intéressantes sur les caractéristiques socio-géographiques qui poussent au crime, l’impact sur les enfants, ou encore sur la justice restaurative.
Sortant de cette visite avec la tête un peu lourde nous avons fait une grande balade en ville et avons gouté au Bagel au Philadelphia dans un immense marché couvert avant de rejoindre un grand magasin du centre. Sa particularité est que, pour divertir ses clients, le fondateur y a fait placer, tout simplement, le plus grand orgue en état de fonctionner du monde ! Au milieu des textiles Giorgio Armani et Ralph Lauren on a donc pu assister à un concert gratuit donné deux fois par jour tous les jours sur ce bel instrument.
Le lendemain nous nous sommes attaqués à la partie plus historique qui rend Philadelphie connue, car on y trouve Independance Hall, l’endroit où a été lue la Déclaration d’Indépendance et où est présentée la fameuse cloche qui a été sonnée à ce moment là.
Nous nous sommes donc replongés dans l’Histoire américaine au Musée de la Guerre d’Indépendance.
D’après ce que nous avons compris, Georges III d’Angleterre était devenu très puissant après avoir vaincu les Français et Espagnols au bout de 7 ans de guerre, et il clamait les territoires en Amérique comme récompense. Mais cela semble être beaucoup plus difficile de s’imposer réellement sur place que de coucher une possession sur un papier. Les Indiens se rebiffaient contre les colons et créaient de nombreux conflits sur ce nouveau territoire. Le roi a donc eu l’idée de leur donner des terres à eux, les réserves, pour maintenir la paix. Mais cela avait un coût, celui des soldats pour maintenir cet ordre. Il a naturellement pensé taxer davantage les colons pour faire face à ces nouveaux frais. Mais à ce moment les colons ne pouvaient pas voter en Angleterre et n’ont pas accepté que des décisions soient prises les concernant sans qu’ils ne puissent y participer : « No taxation without representation ! ». Et la révolte a débuté, arguant que c’était aux gouvernements locaux de prendre ce genre de décisions. En 1775 les premiers coups de feu ont donc été tirés autour de Boston par les rebelles révolutionnaires. Le 4 juillet (devenu fête nationale américaine) 1776, Thomas Jefferson rédige et proclame la Déclaration d’Indépendance qui a ensuite été publiée partout. Elle est largement inspirée des idées des Lumières françaises rapportées par Benjamin Franklin, le diplomate franc-maçon ayant été retrouver les francs-maçons français pendant cette période, car les révolutionnaires voulaient se rapprocher de la France pour avoir leur appui dans cette lutte. Elle commence par le fait que « Tous les hommes naissent égaux (plus de hiérarchie des nobles donc) et ont le droit inaliénable à la liberté et à la poursuite du bonheur ». Ceci entendu que les noirs ne faisaient évidemment pas partie ni de cette égalité, ni de cette liberté, ni du bonheur. Washington, devenu chef de cette rébellion, ayant lui-même un esclave noir à son service.
Les noirs ne sachant pas trop à quel saint se vouer se sont d’ailleurs répartis par moitiés dans le camp des Anglais et des révolutionnaires selon qu’ils pensaient qu’ils avaient plus de chance de devenir libres d’un côté ou de l’autre. Idem pour les Indiens qui se demandaient qui allait le plus les soutenir dans le fait de préserver leurs terres. La guerre est donc devenue totale dans la mesure où elle touchait toutes ces communautés également.
Au moment où les Français se sont décidés à intervenir - leur intérêt principal étant celui d’affaiblir leurs voisins anglais devenus trop puissants - via Rochambeau qui est arrivé en soutien pour la bataille décisive de Yorktown, les révolutionnaires ont enfin gagné alors qu’ils étaient exsangues. Après huit ans de guerre, les Anglais ont enfin consenti à faire la paix (parce que la guerre leur coutait trop cher) et à reconnaitre l’Amérique comme indépendante.
En revisitant cette partie de l’histoire nous avons mieux compris pourquoi les Américains se sentaient si loin des lieux desquels ils sont pourtant partis originellement.
Avant de partir nous avons fait une dernière visite du musée des curiosités médicales pensant que cela pouvait être rigolo, mais la plupart d’entre nous l’avons regretté et tout le monde ne l’a pas terminée. On y voit en effet une tranche du cerveau de Einstein, des thorax complètement déformés par le port du corset, les foies accrochés d’Eng et Cheng les siamois de Barnum, et d’autres horreurs dans une ambiance désuète et glauque mal éclairée aux odeurs de formol.
Et maintenant, New York n’est plus qu’à 150km !