Louisiane : visites insolites, esclavage et Mardi-Gras !
Au bout de quelques kilomètres en Louisiane le paysage change passant du désert aride aux marais et bayous aqueux qui forment ensemble le delta du Mississippi, le plus grand fleuve des Etats-Unis. Nous nous précipitons sur un bateau pour faire une balade dans ce nouvel environnement et nous trouvons très rapidement nez à nez avec nos premiers alligators ! On nous explique que l’alligator à le nez rond, contrairement à celui du crocodile qui est long, et qu’ils sont beaucoup moins agressifs que ces derniers. Les marais sont également infestés de tortues (qui se dégustent en soupe), et nous avons croisé quelques aigrettes et cormorans qui ont oublié de s’échapper pour l’hiver.
Nous faisons ensuite une halte assez rapide dans un village reconstitué du siècle dernier - façon Charles Ingals - qui nous en apprend davantage sur la vie des cajuns : ces colons français qui vivaient au Canada avant de se faire chasser par les anglophones lors du « Grand Dérangement » et qui ont trouvé refuge en Louisiane, principalement autour de Lafayette où se trouve ce village et où nous avons croisé plusieurs personnes qui parlent encore le français.
Nous en avons profité pour goûter leurs plats typiques, élaborés à partir d’un roux épicé : gumbo (sorte de soupe), jambalaya (sorte de paëlla), alligator en sauce et frit, croquettes de tomates vertes et de cornichons vinaigrés, et surtout, leurs fameuses écrevisses au court-bouillon que nous avons tout à fait appréciées malgré nos bouches en feu !
Nous étions donc déjà dans l’ambiance pour la visite suivante : celle de l’usine de Tabasco ! Une drôle d’odeur épicée nous a accompagnée tout au long de la visite. Tabasco signifie « où le sol est humide » en amérindien. Un Monsieur a inventé cette sauce qu’il distribuait à sa famille et à ses amis avant de penser à la commercialiser en 1868 dans la période de l’après-guerre de Sécession, soit dans une période de récession où les régimes alimentaires étaient peu intéressants. Son but a rapidement été de mettre cette sauce « qui rendait tout meilleur », « sur toutes les tables » et était plutôt avant-gardiste en matière de publicité dans laquelle il a investi dès la première année. Depuis lors, c’est toujours la même famille qui possède cette entreprise, depuis six générations ! Le Tabasco du monde entier est entièrement produit à partir de cet endroit, en Louisiane. En revanche, les plants pour obtenir les meilleurs piments sont maintenant croisés à partir de plants se cultivant également ailleurs. Lorsque les piments ont la bonne couleur de rouge – nous avons d’ailleurs eu une première version pour l’explication du nom de la ville de Baton-Rouge au nord de la Nouvelle Orléans, il semble qu’un bâton avec la bonne couleur de rouge soit distribué aux récoltants pour qu’ils ne prennent que les piments adéquats – ils sont cueillis et mélangés à du sel pour être stockés dans des fûts de chêne, de nouveau recouverts de sel, pendant trois ans !
Cette décoction est ensuite filtrée et mélangée pendant trois semaines avec de l’eau et du vinaigre.
Puis ce sont des centaines de millier de bouteilles qui sont maintenant produites avec cette sauce chaque jour pour être distribuées dans 180 pays et en 22 langues. L’entreprise a même diversifié son produit et nous pouvons trouver maintenant six sortes de Tabasco différents.
Autres temps, autre mœurs, après la période cajun et celle des planteurs - que nous découvrirons un peu plus tard- le Mississipi est ensuite devenu un grand terrain de jeu pour l’extraction du pétrole, comme dans tout le golfe du Mexique. Il n’est donc pas étonnant de trouver un peu plus loin la première plateforme pétrolière off-shore qui ait été construite en 1950. Après avoir été utilisée pendant des décennies elle est tombée en désuétude au profit de plateformes plus modernes mais elle continue à servir comme lieu de formation, pour ceux qui souhaitent apprendre le métier avant de rejoindre les plateformes encore en réelle activité. Nous avons eu un véritable cours sur la façon dont les fonds sont sondés, les puits sont creusés, la façon dont sont placés les tuyaux, comment est extraite la substance, comme elle est ensuite raffinée, etc. De la même façon nous avons vu à quoi pouvait ressembler la vie sur une plateforme pétrolière, les cabines, cuisines et autres lieux de vie des travailleurs. Le plus impressionnant est la ridicule nacelle sur laquelle il faut s’accrocher pour se faire hisser jusqu’au bateau qui embarque et débarque le personnel tous les quinze jours.
Dernière visite avant la grande ville, celle d’une ferme qui fait de l’élevage d’alligators ! Ceux-ci sont maintenant élevés dans des fermes pour être consommés et pour leur peau, qui est vendue aux grands couturiers italiens, français et singapouriens principalement. Nous avons appris que les femelles alligators pondent leurs œufs dans un monticule de paille qui se repère bien vu du ciel. Les éleveurs font donc un tour en hélicoptère sur leurs terres et jettent des drapeaux aux endroits où ils voient les petits monticules.
Ils montent ensuite à deux dans un Airboat (ces bateaux qui avancent à toute allure avec une soufflerie qui permet de ne pas mettre de moteur dans l’eau, trop peu profonde dans les marais) en direction de leurs drapeaux. La partie périlleuse commence, l’un d’entre eux descend pour attraper quelques œufs tandis que l’autre donne des coups de bâton sur la tête de maman alligator qui tente de défendre sa progéniture en sortant régulièrement ici ou là.
Tout ceci est hautement réglementé, on ne peut prendre qu’un certain pourcentage d’œufs, qui doivent être fécondés (on voit une ligne blanche par transparence lorsqu’ils le sont), payés (il y a une taxe sur chaque œuf pris), marqués d’une ligne droite pour préserver le sens haut et bas (le fœtus est en haut et le liquide amniotique en bas, si dans la manipulation on inverse le sens le fœtus se trouve noyé), et surtout sans aucune arme. Il est absolument interdit de blesser ou tuer un crocodile, quand bien même celui-ci vient attaquer chez un particulier et qu’il serait en train de croquer le toutou de la maisonnée. Cette dernière règle à laissé Nicolas très perplexe, sachant qu’on a le droit de tirer sur, et de tuer, un homme qui tenterait de voler notre voiture en Louisiane… c’est en effet un comble. Bref, le nid est ensuite refermé.
Les œufs sont placés en couveuse par fratrie, et, comme pour les tortues, c’est la température de cette couveuse qui décidera du sexe des petits. Ils s’arrangent donc pour que le tout reste bien chaud pour obtenir 95% de mâles.
Ils les nourrissent pendant un an pour qu’ils atteignent la taille à partir de laquelle ils sont capables de se défendre en milieu sauvage, puis en relâchent 12% dans la nature, et pas n’importe où, uniquement dans la zone dans laquelle ils ont été cueillis.
Les autres sont alors gonflés à l’air pour que leur peau se décolle plus facilement de la chaire et c’est au tour des dépeceurs de passer à l’action. Il semble qu’il n’y ait pas d’école pour ce charmant métier qui s’apprend en famille… quoi qu’il en soit, il faut être particulièrement habile, avec un ou deux coups dans la peau elle perd 25% de sa valeur, trois coups 60%... à partir de quatre elle est invendable et le dépeceur se trouve viré.
Une fois la peau nettoyée à l’eau à haute pression, on vérifie sa qualité sur une table lumineuse. C’est là que nous avons bien vu la différence entre la peau d’un alligator sauvage qui est très dure, pleine de coups reçus dans la nature, et décolorée par le soleil, et celle de ceux qui sont élevés.
Ensuite la peau est salée, roulée et envoyée à l’acheteur.
Nous avons également eu droit aux explications sur la chasse aux alligators qui est permise au mois de septembre, extrêmement réglementée également.
Sortis de nos marais, nous sommes arrivés juste à temps pour le fameux Mardi-Gras ! Nous avons même branché le réveil pour ne pas rater l’arrivée des premiers chars à 8h du matin… et ce sont ensuite deux-cents d’entre eux qui se sont succédés pendant 8h entrecoupés par les fanfares, majorettes et bataillons de l’armée de temps à autres. La particularité de ce Carnaval est que pendant cette longue journée, sans cesse sont jetés des colliers de perles (en plastique), jouets, peluches, cerceaux, balles, etc. que tous essaient d’attraper. Il y a une hiérarchie dans ces breloques, certaines sont plus rares que d’autres, les colliers avec de grosses perles par exemple, ce qui rend le challenge amusant. Mais c’est la catastrophe écologique à l’arrivée, les quantités d’objets-qui-ne-servent-à-rien-en-plastique-made-in-China lancés sont phénoménales… nous en sommes ressortis avec six grands sacs remplis de merdailles, sans compter les centaines de colliers, et il y en avait une quantité astronomique qui jonchait le sol à la fin de la journée et qui n’avaient bénéficié à personne. Nous avons fait un tri de ce que les enfants voulaient vraiment garder et le reste est immédiatement parti dans notre coffre pour le prochain « Charity » que l’on trouvera sur notre route.
Après ces réjouissances, nous avons visité la si jolie vieille ville, avec un guide francophone- l’avantage de se trouver dans une ancienne colonie française- retraçant toute l’histoire de la Nouvelle Orléans. Colonie française donc, donnée par Napoléon aux espagnols, récupérée lorsqu’il a conquis l’Espagne, et vendue aux américains (décidemment il n’en voulait vraiment pas, alors qu’à l’époque la Louisiane était un très grand territoire qui occupait tout le centre des Etats-unis, 22% du pays !)… Nous avons appris à repérer les bâtiments de ces différentes époques et d’où venait la mixité sociale qui y régnait. Le point commun de tous les immigrants était d’être catholique et c’est ce qui définit les « créoles » comparativement aux protestants anglophones qui sont arrivés par la suite. Parmi ces créoles nous retrouvons les hommes libres et les esclaves qui arrivaient ici après une longue navigation. La ville porte encore la trace de cet épisode, notamment avec son marché aux esclaves qui est toujours là, et absolument pas signalé, et en visitant quelques maisons privées où on voit bien leurs quartiers, en fond de cour.
Après avoir prolongé la balade en ville pour voir le dernier bateau à vapeur et écouter un peu de jazz, nous avons fait route vers les anciennes plantations de canne à sucre le long du Mississippi entre la Nouvelle Orléans et Baton-Rouge, où justement l’esclavagisme battait son plein.
Les colons blancs arrivés à la Nouvelle Orléans ont tenté d’apprivoiser les terrains marécageux si hostiles de la Louisiane pour en tirer des bénéfices financiers. Pour cela, ils ont utilisé toute la main d’œuvre des esclaves qui ont défriché, construit les maisons de leurs maitres, ainsi que les leurs, et planté chaque année la canne qui a fini par leur rapporter tant qu’ils se sont attirés la jalousie des nordistes. Nous avons visité deux plantations où les visites (passionnantes et en français de nouveau) rendent bien compte des rapports sociaux qui existaient à ce moment, tant entre blancs, qu’entre esclaves, qu’entre ces deux groupes.
Le plus surprenant a été d’apprendre ce qui s’est passé après la guerre de Sécession, une période où les esclaves étaient soi-disant libres : ils étaient « payés » - une misère - en bons qu’ils ne recevaient qu’une fois par an, et devaient louer leur logement, et payer leur nourriture au « magasin » de la plantation… avec ce système les propriétaires les maintenaient dans un système de dettes qui ne permettait à personne de quitter sa plantation dans les faits. Bien qu’ils soient devenus libres et qu’ils aient gagné leur vie plus décemment, certains enfants d’esclaves ont même continué à habiter leurs cases jusque dans les années 1975 !! C’est la raison pour laquelle certaines cabanes sont si bien préservées, nous explique notre guide.
C’est avec toutes ces histoires horrifiantes d’esclaves, de révoltes, de cruauté, de terreur psychologique et des énormes inégalités sociales qui ont suivi (et qui sont encore bien présentes aujourd’hui) que nous traversons Baton-Rouge sans nous attarder… Ah au fait, nous avons appris la vraie histoire entre temps : l’endroit était un lieu de séparation de terrains de chasse pour les tribus indiennes qui peuplaient la zone avant que tout ce joli monde n’arrive… ils mettaient un bâton frotté du sang d’une bête chassée pour marquer le lieu, d’où le nom de cette ville. En quelques kilomètres encore, nous voilà sortis de la Louisiane pour entrer dans l’Etat voisin au nord du Mississippi !